Le transport tient une place centrale dans le fonctionnement logistique et supply chain des entreprises, car il permet la synchronisation des fournisseurs entre eux. Les relations entre transporteurs et fournisseurs forment une danse chorégraphiée. Je consacre cet article au train, à ce transport qui n’est pas tout-à-fait comme les autres. Le train a-t-il encore sa place dans cette danse alors que fret SNCF, en grave déficit chronique, se cherche un avenir ? Elisabeth Borne, ministre des Transports, rétorque que l’Etat va « accompagner » le développement du rail.
Le rail s’est laissé distancé par d’autres modes qui, aujourd’hui, paraissent plus légitimes pour transporter du fret. Le peloton de tête est définitivement formé par le transport routier et maritime. Doit-on se résigner à l’idée que le rail ne sera jamais plus un acteur fret de référence ? Pourquoi n’est-il plus l’acteur incontournable qu’il a été ? Plus encore, pourquoi n’est-il plus un mode de référence pour le transport de marchandises ? La pertinence du fret ferroviaire doit être considéré dans son ensemble. On ne peut pas séparer le train de son écosystème. Le fret ferroviaire ne dispose pas d’une pertinence qui lui serait propre. Il est le maillon d’une chaîne, et c’est la chaîne toute entière qui va lui donner sa pertinence. C’est, là, le rôle de la supply chain. Pour en parler, je suis allé à la rencontre de Colin Leisk, l’expert supply chain du cabinet de management de transition, Delville Management.
Le transport, c’est un coût qui impacte la rentabilité de la chaîne logistique. Les entreprises cherchent à diminuer leur coût de possession. C’est pourquoi elles n’ont pas énormément de stock. Pour y pallier, la supply chain a recours au transport afin d’éviter les ruptures de stock très coûteuses. Si les transports permettent aux entreprises de diminuer leur coût de possession, alors ils se doivent d’être fiables. Mais malheureusement le train ne semble pas pouvoir prémunir les entreprises des ruptures de stock.
Le transport c’est un délai à respecter. Un chargeur doit savoir quand son produit sera livré. Le train n’offre ni la transparence ni la réactivité nécessaire sur ce genre d’information. Colin Leisk pose ingénument la question… est-on capable d’affréter des oranges depuis le sud de l’Espagne en 48h00 ? L’opérateur ferroviaire a des difficultés à répondre lorsqu’il y a des contraintes de temps. Ces réalités déterminent la compétitivité d’un mode de transport par rapport à un autre, et donc sa pertinence au sein de la chaîne logistique.
Décidément, à bien y regarder, aucun des points énumérés, ne nous permet de croire encore en un fret ferroviaire, trop coûteux et pas assez agile. Nos optimismes de « ferroviphile » peuvent se laisser peu à peu escamoté. Etrangement, il y a beaucoup d’affect lié au train. C’est plus qu’un mode de transport, c’est une histoire. Il y a ceux qui analysent froidement la situation et qui laissent tomber le couperet de la sanction : le rail est mort. Ils préparent déjà l’éloge funèbre d’un mode de transport qui appartiendrait au passé. Il y a ceux qui, à force d’idéologie, empêchent le rail de s’ancrer dans les réalités économiques de la supply chain dont il a tant besoin. Pendant ce temps-là, le rail se meurt à petit feu. Il nous faut renvoyer ces contradicteurs dos à dos. Ce sont les croque-morts d’un mode qui ne demande qu’à être adapté aux exigences d’un marché en évolution. Au fond, un brin provocateur, on peut dire que la pertinence du ferroviaire dépend de sa capacité à se réinventer face à la concurrence et à limiter l’inflation de ses coûts.
Pour Colin Leisk, il est temps de valoriser les opportunités d’un rail injustement déconsidéré. Selon lui, on n’entend pas suffisamment dire qu’un train équivaut à 50 camions. Du point de vue écologique le calcul est vite fait, faire rouler des trains est écologique. La performance écoenvironnementale de la supply chain en dépend. Le fret ferroviaire est, de ce point de vue, l’un des grands gagnants du transport écoresponsable. Du point de vue sécurité, le calcul est également vite fait. Plus il y a de trains moins il y a de camions, et c’est autant de risques d’accidents en moins sur les routes. Mais ces vérités ne sont pas suffisantes pour redonner au train les couleurs de l’attractivité. Le rail ne demande qu’à être libéré des rigidités qui le sclérose. Et ce n’est pas en lui donnant de grands coups de semonces qu’il réapparaîtra dans le peloton de tête des transports attractifs.
Regardons du côté des points forts du fret ferroviaire. Son réseau secondaire, véritable maillage national, lui offre un large potentiel de développement. Il est même en certains lieux indispensable, en particulier pour les coopératives agricoles. Le rapport Spinetta a statué sur le sort de ces petites lignes peu fréquentées et peu rentables. Leur maintenance pourrait être confiée aux régions, ou seraient menacées de fermeture. Se débarrasser ainsi de dizaines de milliers de kilomètres de lignes, répondrait à une partie du problème de rentabilité de SNCF Réseau chargé du maintien de ces lignes, dont aujourd’hui la dette atteint 4,3 milliards d’euros. Nous, Global Rail Network, sommes convaincus que ce ne sera jamais la solution. Est-il plus facile de rentabiliser 30 km de lignes plutôt que de rentabiliser tout un réseau ? La réponse est très claire pour Colin Leisk… d’un point de vue du management, on ne peut pas manger le mammouth d’un seul coup. Il faut saucissonner le problème. Le rapport Spinetta se penche, d’ailleurs, sur une rentabilité ligne par ligne.
Ces lignes secondaires ont plus de valeur qu’on voudrait leur en attribuer. Leur valeur ajoutée est de pouvoir proposer un service à tout niveau de la chaîne logistique, renforçant ainsi l’attractivité d’une région. Alors que cette actualité soulève de brulantes passions, le danger serait de passer à côté de l’intérêt commun : faire du rail un transport compétitif.
Miser sur les lignes capillaires : ce patrimoine de lignes secondaires, en majorité non exploitées, peut constituer un potentiel d’infrastructures pouvant être utilisées par des chargeurs pour transporter du fret sur de petites distances. Global Rail Network propose de créer une filiale SNCF dédiée aux capillaires fret et aux installations de services. Colin Leisk nous rappelle que la privatisation des lignes outre-manche n’a pas été sans difficulté. Il y a eu de graves problèmes de maintenance dans les cas où la privatisation fut totale. Les opérateurs privés n’ont pas entretenu le réseau comme il aurait fallu. La proposition de Global Rail Network vise justement à conserver une expertise technique sur l’entretien et la régénération des lignes. En revanche, la privatisation de l’exploitation est une solution efficace. C’est une des belles réussites du transport ferroviaire outre-manche. Cette proposition nécessite l’implication des prestataires logistiques. Il est possible de redynamiser le rail en optant pour des Hub ferroviaires partagés par plusieurs chargeurs et idéalement en interconnexions avec d’autres modes de transport. A titre d’exemple, le Hub ferroviaire privé monté par Danone Waters et le prestataire ID Logistics, avec la création de l’OFP Regiorail.
Former les acteurs du transport et autres décideurs de la supply chain : il coexiste, au ratage du fret ferroviaire, des éléments conjoncturels tels, les habitudes de tous les acteurs du transport et de la supply chain. N’a-t-on jamais pensé à faire du « lobbying » pour que les commissionnaires de transport et transitaires sachent aussi bien affréter un train qu’un camion ? Les chargeurs ou organisateurs de transports n’ont pas l’habitude de faire appel au fret ferroviaire. Les habitudes opérationnelles sont la pierre d’achoppement du rail. Pourquoi les grands acteurs du transport aérien et maritime, ne font-ils pas appel au transport ferroviaire ? Sûrement parce que les acteurs du transport n’ont pas le réflexe du transport ferroviaire. On a des commissionnaires de transport qui connaissent très bien le transport aérien, routier et maritime mais il n’y a pas suffisamment d’experts capables d’affréter un train.
A l’aube des grands changements, il se dessine un nouveau paradigme qui consiste en une approche logistique et globale et non plus spécifique et cloisonnée. Une approche où les modes de transports se complètent selon leurs domaines de pertinences. « Ma priorité, c’est le ferroviaire dans son domaine de pertinence, là où il est irremplaçable… » assure la ministre des Transports Elisabeth Borne. Les principaux atouts du rail sont la sécurité et son impact écologique, mais aussi son maillage national dû aux lignes capillaires. Non seulement le train à toute sa place dans la supply chain, pour laquelle il suscite de grandes attentes, mais il est indispensable pour bon nombre d’industries, et l’économie toute entière.
AUTEUR |
Hubert de Germain |