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L’impact du numérique sur le management

Posté par : Celine Elgoyhen
Catégorie : Evènements

Compte-rendu de la table ronde du 11 juin 2015

Comment le numérique réinvente-t-il le travail ? Pour marquer d’une pierre blanche ses cinq années d’existence, le cabinet Delville Management, spécialisé en management de transition, a voulu réfléchir aux nouveaux modes de management en train d’émerger au sein des entreprises. Une façon d’élargir le débat autour d’une enquête en ligne sur le management de transition réalisée pour l’occasion. (Pour en apprendre plus sur les résultats de cette enquête client transfrontalière, téléchargez le compte-rendu.) Son objectif : faire le point sur la perception de ses clients à l’égard d’une activité implantée depuis une quinzaine d’années en France. Une table ronde a réuni, jeudi 11 juin, cinq participants issus d’horizons différents, associés dans des cabinets de stratégie, responsables d’entreprise ou philosophe, tous venus présenter leur vision des nouveaux modes de management et comment le management de transition en particulier s’intégrait dans ce paysage.

Honneur aux dames, Cynthia Fleury, philosophe et psychanalyste mais aussi conseil auprès des dirigeants d’entreprise sur leurs choix managériaux, a d’abord remis brillamment le management de transition en perspective. « Pendant longtemps, le conseil extérieur en entreprise a suscité un sentiment de soupçon, rappelle la philosophe. Pourquoi sous-traiter l’analyse stratégique d’une entreprise ? Il a fallu du temps pour que le manager de transition soit considéré comme un tiers résilient, capable de sortir l’entreprise de ses dysfonctionnements pour aller vers une conduite du changement. »

Le management de transition permet aussi d’« éviter le piège de l’insider » qui consiste à ne pas assez remettre en cause ses règles ou sa gouvernance. Le management de transition renverse le leadership classique top/down. « Le manager de transition devient celui qui rend les autres capacitaires », explique Cynthia Fleury. Il veille à ce que les différents talents puissent s’exprimer et contribuer à l’innovation créatrice. « Cette souplesse de comportement est très présente chez le manager de transition qui, pour faire accepter sa mission, doit se mettre au service d’une équipe. Sinon, cela diminuera ses chances de réussite », poursuit-elle. Attention toutefois au caractère parfois très court – quelques mois – des missions. « Comment évaluer l’immédiat ? Quels critères tangibles pour mesurer la conduite du changement sur un temps réduit ? » s’interroge-t-elle.

Par rapport à la culture anglo-saxonne, la France accorde une grande importance au statut. Le caractère temporaire du management de transition a pu générer un sentiment de malaise et un questionnement sur sa légitimité. Alors qu’outre-Manche, l’organisation en mode projet est plus répandue. « La révolution du management et en particulier celui de la transition, s’inspire des métiers du spectacle. L’intermittence devient notre mode de pensée au travail », suggère-t-elle. Enfin, conduire le changement implique « une clarté des objectifs et une traçabilité du raisonnement. Dire vrai est nécessaire pour apporter des transformations, sinon des résistances apparaissent », explique la philosophe.

Management : Circulation de l’information

Justement, les entreprises ont-elles pris conscience des changements à l’œuvre depuis le développement (rapide) du digital ? Pour Bruno Mettling, directeur général adjoint en charge des ressources humaines chez Orange, la bascule numérique s’est accélérée ces deux dernières années. En cours de réalisation d’un rapport sur le sujet, qui doit être remis, à la fin de l’été, au ministre des Affaires sociales, François Rebsamen, il observe une grande hétérogénéité en fonction des secteurs. Certains, comme l’hôtellerie ou la presse, vivent un véritable bouleversement. Pour d’autres, le business model n’est pas remis en cause, mais l’évolution de la relation client, qui s’est déjà beaucoup digitalisée, montre que les entreprises ont bel et bien pris le virage.

Autre tournant majeur lié au digital, la circulation plus large de l’information. Laurent Choain, directeur des ressources humaines du cabinet de conseil Mazars, constate qu’aujourd’hui, les jeunes managers sont parfois bien mieux informés que les associés. « Mais je ne crois pas à une entreprise sans leader. Simplement, le leadership sera de plus en plus partagé, explique-t-il. Chez nous, personne ne peut rester spectateur. Il faut soit aider quelqu’un à faire aboutir son projet, soit travailler à mener le sien à terme. Il n’y a pas d’autre posture possible. »

« La société française et les consommateurs français ont embrassé plus vite le numérique que les entreprises, estime Jean-Christophe Mieszala, directeur général du cabinet de stratégie Mc Kinsey. La mise en application des changements y prend plus de temps. Elles ont deux fois moins de commandes sur internet que les entreprises allemandes. Leur capacité de mise-en-œuvre est donc inférieure. » D’autres rigidités existent : le digital se heurte aussi au fonctionnement en silos des organisations. Dans les PME, l’adaptation au numérique peut représenter un investissement coûteux. « Mais les entreprises proches des utilisateurs finaux ont une grande capacité d’adaptation. Il suffit qu’une personne ait le virus du numérique pour que l’organisation se transforme », souligne Patrick Aisenberg, co-fondateur et CEO de Linkbynet, spécialisée dans les services digitaux aux entreprises et qui compte 600 collaborateurs. « Il faut accompagner l’apprentissage des nouvelles technologies car plus la technique est sophistiquée, plus le coût de l’appropriation est élevé », rappelle Cynthia Fleury, qui souligne un décalage entre la vie privée, où le digital est désormais très présent, et la vie professionnelle où le changement est plus lent.

Comment implanter ces changements dans les organisations ? « La solution passe par la valorisation des talents », estime Jean-Christophe Mieszala. Ces derniers doivent pouvoir apporter leur contribution aux enjeux les plus complexes de l’entreprise. Le temps où la réponse venait d’en haut est révolue. La nouvelle génération de cadres soigne son employabilité. Au moment d’accepter un emploi, ce sont les options futures qui comptent : seront-elles plus nombreuses en sortant de l’entreprise ? Aux employeurs d’offrir des missions et des responsabilités à la hauteur de leurs attentes.

Chez Orange, un « passeport digital » a été créé afin qu’un socle commun de connaissances numériques soit partagé par l’ensemble des collaborateurs. « Avec l’avènement du digital, la culture des ressources humaines évolue de la gestion des emplois vers la gestion des compétences », estime Bruno Mettling. Au sein de l’opérateur télécom, une partie de la rémunération récompense désormais la capacité d’évolution des salariés. « Nous misons sur le bien-être au travail, le relationnel, des valeurs fortes comme l’humilité ou le dépassement de soi, et beaucoup de transparence, explique Patrick Aisenberg. Il faut remotiver et ré-enchanter les managers. »

 

Mieux cibler les recherches

Le numérique s’accompagne de nouvelles fonctionnalités, parmi lesquelles le « Big Data ». Est-ce un bon outil de management et de détection des talents ? « Nous l’utilisons à notre échelle, en lançant par exemple une étude sur la génération Y, auprès de 700 personnes, dans 60 pays », explique Laurent Choain. « Le Big Data nous permet de prévoir certaines logiques comportementales et de mieux fidéliser nos collaborateurs. Il ne faut pas s’en priver. Mais attention à l’utiliser à bon escient, de façon régulée. C’est un des grands enjeux de la transformation digitale », juge Bruno Mettling.

Chez Mc Kinsey, la donnée est aussi une ressource pour identifier des experts ou des spécialistes très pointus pour des missions ponctuelles. « Les réseaux sociaux nous permettent de mieux nous présenter selon les profils dont nous avons besoin, de mieux cibler nos recherches et de géolocaliser les talents en fonction du développement de l’entreprise », explique Patrick Aisenberg. Côté usages, Cynthia Fleury suggère que la donnée ne doit pas être utilisée comme un algorithme, à la place de la décision humaine, tentation parfois bien réelle dans un contexte économique contraint.

La fameuse génération Y est la première à avoir toujours travaillé avec internet. Comment gérer les « millenium » ? « La moyenne d’âge d’accès à un CDI est aujourd’hui de 32 ans. C’est une génération très diplômée mais avec des opportunités limitées. Ses conditions de vie socio-professionnelles sont différentes des nôtres. On ne doit pas chercher à leur transmettre nos codes mais les aider à trouver les leurs et faire en sorte qu’ils soient plus heureux », estime Laurent Choain. Autre priorité : créer des passerelles entre générations. Orange a mis l’accent sur la formation à cette problématique de sa première ligne managériale, celle qui porte le changement.

L’évolution digitale comporte aussi son lot d’effets négatifs. Les risques psycho-sociaux ne sont pas à négliger. « Le continuum entre vie privée et vie professionnelle, notamment au travers des mails, peut faire peser une pression forte et du harcèlement peut apparaître, souligne Cynthia Fleury. Mais la confiance, c’est de la vitesse, rappelle la philosophe. Elle est source de performance et de productivité ». « Le télétravail est passé de 1,5% à 6% en deux ans chez Orange, note Bruno Mettling. Excès de connectivité, situations de stress… Il reste à définir des bonnes pratiques. L’employeur doit poser la problématique, il en va de sa responsabilité. Si les partenaires sociaux ne se saisissent pas de ces questions, des règles seront édictées par la puissance publique ».

Fin des hiérarchies verticales, collaboration accrue, mais aussi apprentissages multiples : les évolutions liées au digital commencent à transformer les organisations. « Le modèle qui s’impose est celui de l’entreprise comme lieu de formation », constate Cynthia Fleury. « Civisme, valeurs, apprentissage du métier, nous aimerions que l’Etat nous aide mieux à former nos jeunes recrues aux défis d’aujourd’hui », conclut l’entrepreneur Patrick Aisenberg.

Aurore Gorius