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« Remise en cause de l’Europe économique et sociale pour dresser le portrait d’un nouveau modèle »

Posté par : Anne-Lise Belleut
Catégorie : Evènements

Compte-rendu de la table ronde du 29 novembre 2016

Nous recevions, le mardi 29 novembre 2016, 4 invités de marque qui nous ont donné, avec brio, leur vision d’un modèle Européen né des récents événements et plus intégré à la vie des citoyens Européens. Nicole Fontaine, Ancienne Présidente du Parlement Européen, Professeur Affiliée à l’ESCP Europe, Isabelle Andrès, CEO de Betclic Everest Group, François Barrault, Président de l’IDATE Digiworld Institute et Olivier Campenon, Président de la Chambre de Commerce Franco-Britannique, se sont donc exprimés sur la « remise en cause » de l’Europe économique et sociale pour dresser le portrait d’un nouveau modèle.

Très inattendu, le vote des Britanniques majoritairement favorable au Brexit en juin 2016 a plongé la construction européenne en plein doute. Pour sa table ronde annuelle, organisée le 26 novembre à l’Aéro-Club de France à Paris, Delville Management a souhaité ouvrir le débat sur un sujet qui met en jeu notre avenir et sur les futures conséquences d’une décision qui pourrait impacter prochainement nos entreprises. Pour en discuter, des dirigeant(e)s d’entreprises ont pu faire part de leur expérience et partager leur point de vue avec Nicole Fontaine, qui fut Députée Européenne de 1984 à 2009 et Présidente du Parlement Européen de 1999 à 2002.

Il est difficile d’anticiper dès aujourd’hui les conséquences économiques du Brexit. Les négociations devraient durer au moins deux ans. « L’incertitude entraîne beaucoup d’attentisme. Les projets en cours se poursuivent, mais pour ceux à venir, les grands groupes lancent du benchmarking entre différents pays », explique François Barrault, Président de l’IDATE DigiWorld Institute, auparavant dirigeant de plusieurs entreprises dans le secteur des télécoms. « Les activités très régulées, qui emploient beaucoup de personnels, seront plus impactées que les autres », poursuit-il. « En ce moment, on observe des postures politiques très fortes, des réactions épidermiques et émotionnelles. Le dialogue économique doit reprendre afin de ramener les choses à leur juste valeur. La balance commerciale entre la France et la Grande-Bretagne est bénéficiaire de 12 milliards d’euros pour la France. Le Brexit aura donc des conséquences pour nous », rappelle Olivier Campenon, Président de la Chambre de Commerce Franco-Britannique.

Dans certains secteurs, le départ programmé du Royaume-Uni de l’Union européenne constitue une bonne nouvelle. C’est le cas pour Betclic, site de paris en ligne. L’essentiel du chiffre d’affaires de l’entreprise est en euros, elle est assez peu positionnée sur le marché britannique mais une grosse partie de son équipe est basée à Londres : 200 postes sur un effectif de 700 personnes. « Avec un chiffre d’affaires en euros et des coûts en livres, c’est positif pour nous, explique Isabelle Andres, Directrice Générale de Betclic Everest Group. Nous avons dû rassurer les équipes britanniques sur l’absence de plan de départ. Mais si des difficultés apparaissent pour travailler en Grande-Bretagne et que l’économie devait ralentir Outre-Manche, on devra surveiller… »

Le Brexit, une opportunité pour l’Europe ?

« La position des Britanniques dans l’Europe a toujours été d’une grande équivoque. Lorsqu’au Parlement, nous souhaitions aller vers plus d’Europe, ils bloquaient », explique Nicole Fontaine, qui fut Présidente de l’institution de juillet 1999 à janvier 2002. « L’Europe est malade depuis un certain temps », lance-t-elle. Mais le Brexit n’est pas forcément une mauvaise nouvelle… « Si le « remain » l’avait emporté, on aurait poussé un ouf de soulagement à Bruxelles et tout aurait continué comme avant », poursuit Nicole Fontaine. Pour elle, le Brexit a permis une prise de conscience sur la relance nécessaire de la croissance européenne : 1.000 milliards d’euros sur 5 ans a été décidé. Le chantier fiscal est revenu fortement à l’agenda, avec notamment l’amende de 13 milliards d’euros infligée à Apple. « L’harmonisation des taux ou des mesures anti-dumping ne sont plus des sujets tabous, relève Nicole Fontaine. Le Brexit est une chance pour repenser l’Europe, une possibilité de rebond, pour aller de l’avant, à condition de la saisir ».

Quel statut pour le Royaume-Uni demain dans ses relations avec l’Union européenne ? « Celui de la Norvège serait le meilleur, estime Nicole Fontaine. Il ne faut pas inventer un modèle spécifique dans lequel les Britanniques voudront commander à la carte en payant le prix du menu… » Ce qui ne doit pas éluder les questions de fonds liées au fonctionnement démocratique de l’Union. « Les institutions européennes ont failli, l’Europe s’est construite dans une grande absence de transparence et de communication. La hausse des pouvoirs du Parlement n’a pas suffi. Il faut ré-ouvrir un grand débat sur l’Europe avec la société civile, les entreprises, les écoles mais aussi associer les Parlements nationaux, explique Nicole Fontaine. Plus d’Europe signifie des transferts de souveraineté, il faut le dire et en parler. »

« La seule façon d’être compétitif face au monde anglo-saxon et asiatique est d’avoir un projet européen, poursuit en écho François Barrault. Il faudra aussi un Président Européen pour harmoniser certains chantiers. Cela prendra du temps. » En plus des citoyens, les entreprises ont, elles aussi, besoin d’une gouvernance plus simple et plus transparente. Les jeux en ligne ont le plus souvent été la chasse gardée du monopole d’Etat dans tous les pays. Ils ont été ouverts à la concurrence grâce à l’Union européenne, avec des dérogations possibles si elles sont justifiées par des raisons d’ordre public et si elles sont proportionnées. « Les pays ont interprété ces restrictions comme ils l’entendaient. Mais quand nous voulons lancer des recours auprès de l’administration bruxelloise, souvent nous ne savons pas qui saisir. Et la procédure peut prendre jusqu’à trois ans pour aboutir. C’est très long dans un secteur en plein essor depuis une décennie, où les positions se prennent très vite… », explique Isabelle Andrès.

Face à l’Amérique de Donald Trump…

Le Brexit est, bien sûr, à replacer dans la perspective de l’élection de Donald Trump. Demain, quelle Europe face au monde anglo-saxon ? « Le Royaume-Uni va passer des deals avec Donald Trump, il y aura un équilibre des marchés. Il faut que l’Europe parvienne à tirer son épingle du jeu et ne soit pas tributaire du Royaume-Uni », estime François Barrault. Olivier Campenon prédit que le Royaume-Uni continuera à jouer son rôle de « porte d’entrée pour les Etats-Unis en Europe ». « Avec son pragmatisme habituel, il négociera des accords fiscaux spécifiques pour les entreprises », poursuit-il. « La Première Ministre britannique, Theresa May, n’ira pas négocier un accord de type norvégien à Bruxelles. Il y aura un retour aux taxes douanières, le business sera beaucoup plus compliqué. C’est une chance pour la France de récupérer des marchés, grâce notamment à son atout géographique qui la place au centre de l’Europe. » L’élection de Donald Trump rime avec plus de protectionnisme américain… « L’Europe est provoquée, elle devra serrer les rangs pour relancer la défense européenne et sa politique extérieure commune, d’autant plus que se dessine également un binôme américano-russe », estime Nicole Fontaine.

Dans la panne actuelle que traverse la construction européenne, les politiques de tous bords ne se précipitent pas pour évoquer le sujet, qui était par exemple très absent des débats télévisés lors de la primaire de la droite et du centre. L’Union européenne peut-elle être un rempart ou un contrepoids face à la montée des populismes ? « La masse a une intelligence collective éclairée. Les électeurs ont accès a beaucoup de choses sur le net. Il y a une rupture entre les élites, leur façon de gouverner et la jeune génération. Il est urgent de remettre l’individu au cœur de la société », estime François Barrault. « Nous devons faire plus attention aux perdants de la mondialisation afin de réconcilier les peuples avec l’Europe, poursuit Nicole Fontaine. D’autant que la Chine réclame son statut d’économie de marché dans l’OMC. Les conséquences peuvent être importantes. Je reste une européenne convaincue mais nous sommes dos au mur ! » Autre urgence face à la montée du populisme : « que l’Europe retrouve ses valeurs, c’est avant tout une communauté de valeurs partagées, elle doit retrouver son âme ! »

« Je rêve d’une Europe plus communicante, plus pédagogique, sociale et sociétale afin d’emmener les nouvelles générations avec elle. Il faut sortir de l’image d’un ramassis de fonctionnaires qui étudient la courbure des bananes… Une Europe plus pragmatique, harmonisée fiscalement et sur le plan budgétaire », confie Isabelle Andrès. Pour François Barrault, « la vision de l’Europe est surtout politique et régalienne, c’est un discours abstrait pour les nouvelles générations. Notre responsabilité est de créer une plateforme communautaire qui corresponde à la nouvelle génération, lui garantisse la sécurité et du travail pour tous. » Enfin, Olivier Campenon se montre très optimiste. « L’Europe a beaucoup servi de punching ball mais ses trois objectifs initiaux ont été merveilleusement réussis : garantir la paix, créer un espace économique commun et un espace de liberté. Il reste beaucoup de choses à améliorer. Est-ce que les leaders politiques sont prêts à relever ce défi ? »